Maxime ne donne pas sa langue au Chattam
Interview réalisée par Fabien Hérisson et info relayée par Aloha.
k-libre : Maxime, vous en êtes à treize romans publiés en moins
de dix ans. Est-ce, comme vous l'évoquez dans votre biographie, par le
besoin de ne pas être "qu'un individu de plus parmi les milliards
passés et présents" que vous êtes si prolifique ?
Maxime Chattam : Non, je ne crois pas que ce soit la raison pour
laquelle je suis prolifique. Les raisons pour lesquelles j'écris
beaucoup :
1 - je ne sais faire que ça.
2 - j'adore ça.
3 - j'ai besoin d'écrire.
J'ai
des sujets en tête. Je vois le monde au travers de ma fenêtre. Je vois
des choses qui m'interpellent. J'ai envie d'en parler. J'ai envie de me
servir du prétexte du divertissement littéraire pour le faire. Me
viennent tout un tas d'intrigues qui peuvent m'amuser et m'apporter du
plaisir. Je me dis que si j'ai du plaisir à travailler dessus, à
l'écrire, alors peut-être que le lecteur aura du plaisir à le lire. Et
le fait est que, livre après livre, j'ai toujours de plus en plus de
choses à dire, et qu'il y a des choses qu'on ne peut pas raconter
toujours de la même manière. C'est-à-dire qu'il y a les thrillers -
dans lesquels je peux mettre ce que je veux -, et de temps en temps il
y autre chose qui m'appelle, qui m'interpelle, et je me dis que je ne
peux pas y répondre dans un thriller. Et comme j'aime lire autre chose
que des thrillers - je suis un grand passionné de littérature en
général -, il y a un moment où je me dis que je vais faire une série,
que ça fait longtemps que ça me titille, et c'est comme ça que je fais
"Autre Monde". J'ai trouvé le moyen de raconter ces deux choses-là en
parallèle, et au lieu d'écrire six-huit heures par jour de façon
intensive pendant sept-huit mois, j'écris six-huit heures par jour
toute l'année. Donc, oui j'écris beaucoup, mais parfois c'est un besoin.
k-libre : Vous prenez régulièrement vos lecteurs de cours en
abordant des styles complètement différents. "La Trilogie du Mal",
"Le Cycle de la vérité", "L'Autre Monde", et maintenant Léviatemps. Est-ce un besoin de toucher à tout, ou simplement êtes-vous toujours en train de vous chercher ?
Maxime Chattam : Non, c'est vraiment parce que ce sont des univers qui
me plaisent. Je ne veux surtout pas avoir une démarche commandée par
une idée commerciale de ce que peut être mon métier. C'est-à-dire me
dire que ça marche dans ce domaine-là, que les gens m'attendent là
alors que je fais ça. Parce que sinon j'aurais fait Brolin fois dix
puisqu'on m'a demandé mille et une fois de continuer le personnage de
Brolin dans "La Trilogie du Mal". Parce que commercialement c'est un
succès garanti. Or, ce n'est pas ce qui m'interpelle, ce n'est pas ce
qui m'intéresse. Et Brolin, j'ai longtemps dit que je ne ferai pas de
suite. Maintenant, je me dis que peut-être un jour j'ai eu une idée qui
pourrait être intéressante avec ce personnage-là. Mais ce n'est pas
parce que je l'ai peut-être envisagée que je la ferai. Du coup, je vais
là où j'ai envie d'aller. Et si c'est un thriller un peu historique
comme Léviatemps, très bien, c'est là que je vais. Si c'est un roman un peu plus d'aventure, un peu scientifique comme La Théorie Gaïa, c'est là que je vais. Un roman plutôt géopolitique, Les Arcanes du chaos,
j'y suis aussi. Je vais là où j'ai envie d'écrire et j'utilise les
moyens qui sont à ma disposition pour raconter au mieux mes histoires.
Après, je ne me pose pas la question de savoir si ça va être tel ou tel
genre. J'espère juste que mon univers, ma façon de raconter les
histoires et ce que je mets dans mon sous-texte, interpelleront
suffisamment les gens pour que d'un livre à l'autre, ils aient envie de
partager ça avec moi. Je continuerai d'aller dans ces voies-là, qui me
plaisent, parce que ce sont ces voies-là qui me dictent ce que je dois
écrire avant toute chose.
k-libre : Dans son dernier roman, Arrêt Wagram, Samuel Delage a redonné vie le temps de quelques pages au personnage de Joshua Brolin. Quel sentiment cela vous procure ?
Maxime Chattam : Il a fait quelque chose de très sympa. Il m'avait
contacté à l'époque en me disant : "Voilà, je suis un jeune auteur,
j'aimerais écrire un roman dans lequel je voudrais faire ressusciter le
temps de quelques pages le personnage de Brolin." Je lui ai dit : "Je
ne vous dis pas non. Si ça vous amuse, faites-le." Maintenant, je ne
vais pas dire que je cautionne ce qu'il en a fait, dans le sens où si
demain je fais un bouquin avec Brolin, je n'en tiendrai pas compte pour
raconter mon histoire. C'est juste que je trouvais ça touchant que
quelqu'un se dise : "Ce personnage m'a plu, et j'ai envie de me le
réapproprier quelques pages." Je ne me voyais pas lui dire non. Il a eu
la gentillesse de me demander s'il pouvait le faire et j'ai trouvé ça
très sympa. Je suis super content pour lui qu'il ait réussi à publier
son roman. C'est une bonne chose. Mais ça fait bizarre quand vous êtes
romancier qu'un jour quelqu'un vous dit qu'il aimerait écrire un livre
avec un de vos personnages. C'est particulier comme sensation.
k-libre : Vous avez un groupe de fans fidèles, qui se nomment
les Chattamistes. Cela sonne comme une doctrine religieuse. Alors,
Maxime Chattam, grand gourou ? Selon vous, qu'est-ce qui fait un bon
Chattamiste ?
Maxime Chattam : Je ne peux que leur dire merci, parce qu'ils sont
toujours là. Il y a un noyau dur qui perdure dans le temps et il y en a
d'autres qui viennent, qui passent. Et ces gens sont formidables, parce
qu'ils lisent, ils font des critiques précises de ce qu'ils ont aimé ou
pas aimé. Ils partagent à travers le site et le forum leurs idées,
leurs coups de cœur sur des domaines variés. Et pour moi, c'est un
moyen formidable de pouvoir discuter directement avec des gens qui
m'ont lu. Parce que j'avoue que si j'écris, c'est pour le partager. Et
de rencontrer des gens avec qui je peux partager ce que j'ai fait, qui
sont rassemblés et qui ont créé un moyen, une interface qui me permette
de dialoguer avec eux, c'est magique pour moi aussi. Quand ils me
posent des questions de temps en temps, j'essaye d'y répondre, on
organise parfois des petits chats. Et une fois par an j'organise à
Paris - d'ailleurs c'est dans un mois et demi -, toujours à la même
période, une rencontre où trente personnes gagnent sur le forum un
après-midi pour venir dans une salle que je loue et dans laquelle on
passe trois-quatre heures à discuter entre nous. Parce qu'aujourd'hui,
mon succès m'a rassuré dans le sens où je me suis dit que si
j'écrivais, c'était pour me sentir moins seul et que le succès me fait
dire que, finalement, je ne suis pas seul à penser et à partager ça. Et
on se retrouve les uns les autres dans ces moments-là. Et ça me fait du
bien en tant qu'individu et que romancier. L'inconvénient, c'est que
maintenant - il y a tellement de monde dans les séances de dédicaces -,
je ne peux plus passer un quart d'heure à discuter avec chacun de mes
lecteurs, à faire connaissance. C'est presque frustrant de se dire que
je ne peux pas prendre le temps de connaître tous ces gens,. Ça se fait
parfois avec le temps. Il y a des têtes qu'on reconnait. Des prénoms.
Des anecdotes. Mais pour le grand ensemble, c'est très frustrant de ne
pas pouvoir partager plus de temps. Et ce forum-là, avec ces gens qui
se sont auto-baptisés les Chattamistes, me permet d'avoir un peu plus,
de partager un peu plus cette interaction. C'est magique et je ne les
remercierai jamais assez d'être présents et de me permettre d'avoir ces
échanges. Et me dire qu'à chaque fois que je vais dans une ville en
France, il y au moins deux ou trois personnes du forum qui disent
qu'ils vont venir me voir au nom des "Chattamistes", ça me donne le
sentiment d'arriver en terrain amical et d'être en confiance. Ça peut
paraitre bête, mais quand je débarque à Lille, à Lyon ou dans une autre
ville, et que j'ai vu sur le forum qu'il y avait des gens qui
viendraient, je me dis : "Cool, il y a des gens que je connais." Ça me
rassure. Mais non, je ne suis pas gourou, je ne dirige pas de secte. [Rires.]
k-libre : Sur l'ensemble de votre bibliographie, on compte trois trilogies. Léviatemps va-t-il également s'inscrire dans une œuvre en trois volets ?
Maxime Chattam : Non. Dans une œuvre, dans une première partie, en deux
volets. Un diptyque. Je l'ai vraiment envisagé en écrivant le tome 1,
et là, en écrivant le tome 2, je me dis que je vais faire une fresque,
une saga. Je ne sais pas comment on peut appeler ça sans que ce soit
trop pompeux. [Il réfléchit.] Je vais faire une série de livres sur la famille de Timée. Le premier diptyque c'est Guy de Timée. Léviatemps
et le suivant se passent en 1900. Et ensuite, je ferai probablement
deux volumes qui se passent à la fin des années 1920, avec les enfants
de Guy de Timée. Et plus tard, dans les années 1970, encore un livre
avec les enfants de ses enfants. Et puis je terminerai à la fin des
années 1990, au moment où on retrouve Guy de Timée quand il est âgé,
quand il commence la rédaction de son Léviatemps, puisque ce
roman est un témoignage d'une certaine manière, avec ses
petits-petits-petits enfants. Voilà, ça me permettra de faire un
portrait du vingtième siècle à travers une famille. Une famille un peu
particulière puisqu'on va se rendre compte que les interactions entre
ses membres sont assez fortes. Mais ce sera sur du long terme. Je ne
vais pas les écrire les uns à la suite des autres. Je pense qu'après la
suite de Léviatemps, je vais d'abord reprendre la suite d'Autre Monde, et puis je partirai ensuite sur un autre thriller contemporain que j'ai en tête depuis un petit moment.
k-libre : Dans Le Sang du temps, vous aviez déjà posé les bases de l'intrigue au début du XXe siècle. Avec Léviatemps,
c'est l'ensemble du roman qui se déroule à cette époque. Qu'est-ce qui
vous a poussé à raconter une histoire durant cette période ?
Maxime Chattam : Je trouve que les années 1900 est une période
charnière formidable pour un romancier. Le décor d'abord s'y prête
particulièrement. C'est un décor qu'on a tous plus ou moins en tête.
Qu'on a tous plus ou moins fantasmé. C'est un décor à la fois
romantique et parfois gothique, donc assez sinistre, assez sombre et
inquiétant. Et de pouvoir mélanger les deux, et de jouer sur les deux
tableaux, c'est génial pour un romancier. Je peux m'amuser avec un peu
tout. En plus, j'ai l'Exposition universelle qui est un décorum
magnifique, génial, et qui raconte beaucoup de choses. Et quand on se
dit que c'est un moment charnière, entre la séparation de l'Église et
de l'État, que c'est le moment où tout ce qui est spirituel est en
train d'être remplacé par la science d'une part et par la psychanalyse
de l'autre, donc que la religion, que le folklore sont en train de
s'effondrer avant d'essayer de trouver une place différente dans la
société, et qu'en même temps on a l'éclosion des cercles ésotériques,
on se rend compte qu'il y a beaucoup de chose à raconter. C'est la
Révolution industrielle lancée à pleine vitesse. On est au début de la
globalisation, de la mondialisation. Donc ça raconte aussi beaucoup de
choses. Et c'est une époque qui ressemble finalement beaucoup à la
nôtre. Une époque où les peurs des gens sont à peu près celles que l'on
vit aujourd'hui. Une peur identitaire. On a peur de l'autre. On se pose
la question de ce que c'est qu'être français à un moment où
politiquement la nation n'est pas stable. La IIIe République
est vacillante. On a enchaîné beaucoup de choses : la guerre civile de
la Commune, le Second empire, la guerre face aux allemands, la peur de
l'immigré et en même temps un phénomène qui est en train de prendre une
ampleur démesurée. Paris en 1900, c'est la peur des bandes de banlieues
que plus tard on appellera les Apaches. Finalement ce sont des choses
que l'on retrouve aujourd'hui : discours identitaire, peur des
banlieues, instabilités économique et de l'avenir de la France.
Beaucoup de choses qui sont présentes. Et puis la mondialisation qui
est en train de se mettre en place à cette époque, dont on voit
aujourd'hui toutes les conséquences - bonnes ou mauvaises. Je trouve
que la plupart des réponses aux questions que l'on se pose aujourd'hui
sont probablement issues de cette époque-là. J'avais envie de
développer cette époque charnière de notre société pour raconter une
histoire qui se passe autrefois et qui finalement parle de choses
modernes.
k-libre : Du fait de l'époque évoquée dans Léviatemps, de la fidélité des descriptions du Paris de 1900 et du phrasé des personnages, la comparaison avec l'œuvre de Jean-Luc Bizien "La Cour des miracles" (La chambre mortuaire et La Main de gloire) est inévitable. Son travail vous a-t-il inspiré pour l'écriture de ce roman ?
Maxime Chattam : Pour le coup non. Mais ce qui est amusant c'est que
Jean-Luc Bizien est un ami à moi. Donc on se voit souvent. On discute
très peu de nos livres. Il m'avait envoyé sa série, et je l'ai mise de
côté en me disant : "Je vais les bouquiner avant d'écrire. Je suis sûr
que ça va être génial." Et en même temps à un moment je me suis
interdit de le faire. J'avais mis de côté une dizaine de bouquins qui
se passaient à cette époque-là, et je n'en ai pas lu un seul. Au
dernier moment, j'ai pensé que c'était une mauvaise idée. Je me suis
dit : "Je vais me sentir influencé, même incapable derrière d'être
aussi bon qu'eux." Du coup je n'ai pas voulu les ouvrir. Je me suis
contenté de relire et de parcourir certains ouvrages classiques de
l'époque ou les ouvrages qui me semblaient des références comme le Melmoth de Mathurin, certains ouvrages de Gaston Leroux ou de Maurice Leblanc. Mais c'étaient des lectures diagonales rapides pour me replonger dans
une époque. En revanche je n'ai pas voulu aller dans des intrigues qui
seraient écrites par des contemporains. Voilà, en fait je ne les ai
toujours pas lus. Ça viendra mais je finirai d'abord mon écriture sur
l'époque.
k-libre : Guy de Timée, le héros de votre roman, trouve refuge
dans une maison de tolérance. Coïncidence, sur Canal+, la série "Maison
close" fait un carton, et des livres sur l'histoire et l'architecture
des lupanars sortent en librairie. Selon vous, pourquoi cet engouement
sur le sujet ?
Maxime Chattam : D'abord, je tiens à dire que je n'étais pas au courant
qu'il y avait "Maison close" en tournage quand j'ai écrit le bouquin.
Je l'ai découvert par hasard quand cela a été diffusé. Pourquoi ça
fonctionne ? Je pense que si c'est dans l'air du temps, c'est parce que
ça répond à pas mal d'interrogations de la société. Société qui ne
trouve pas sa place dans ses interrogations entre une forme de
puritanisme, dont on n'a peut-être pas l'habitude en France, et en même
temps oui, de l'hypocrisie qui est liée au puritanisme sur la condition
sexuelle de l'homme et de la femme. Sur notre sexualité à une époque où
les gens s'interrogent beaucoup, fantasment énormément et notamment
projettent leurs fantasmes sur ces maisons closes, sur ce qu'a pu être
la vie dans ces maisons closes, et c'est un peu ce que je voulais
retrouver quand je me suis documenté. Quand j'ai écrit sur les maisons
closes, je voulais à la fois retrouver une vision fantasmée et
romantique sur les maisons closes et montrer que les maisons closes
sont aussi et surtout des lieux terrifiants pour celles qui y sont
employées. Dans le même temps, ça renvoie à la place des maisons closes
dans la société aujourd'hui. Réouverture pas ouverture. Je trouve que
c'est un discours hyper important et qui m'interpelle et m'intéresse
pas mal.
k-libre : Justement. Pour ou contre ?
Maxime Chattam : Pour et contre selon les conditions dans lesquelles
cela se ferait. Pour, si ça se refait sous la tutelle réellement de
l'État parce que c'est l'unique et le meilleur moyen de lutter contre
la clandestinité et les trafics des filles de l'Est. Car c'est
affligeant. J'ai un copain dans la police qui m'en a pas mal parlé. Il
bosse là-dedans. La police ne peut rien y faire. Le seul moyen
d'endiguer ce trafic c'est que l'État se substitue à tout ça et affirme
que dans la rue c'est illégal et que l'on donne droit aux forces de
police d'intervenir sur le terrain puis qu'on ouvre les maisons closes,
mais sous tutelle de l'État, avec des comptes surveillés, avec un
haut-commissaire par exemple, une sorte de sous-ministère allié au
Ministère de la santé avec une hygiène contrôlée - pour les filles je
pense que c'est mieux -, avec des lieux qui sont mis en place par
l'État et probablement des lieux qui permettront de les faire
travailler dans des conditions nettement meilleures qu'aujourd'hui où
c'est catastrophique. Avec une pratique des tarifs qui serait libre.
Mais ça reste un métier terrifiant maintenant. Il ne faut pas se
leurrer. Il ne faut pas être hypocrite. La prostitution a toujours
existé et existera toujours. Clandestinement ou pas. On peut se mettre
des œillères et se dire que c'est abominable. Que c'est terrifiant pour
les femmes qui font ce métier - ce qui est vrai. En même temps on ne
peut pas nier que ça existe. Mieux vaut encadrer quelque chose qui se
fait de façon dramatique aujourd'hui que de vouloir faire les
hypocrites. Maintenant si cela doit être ouvert et mis dans les mains
du privé alors non. Certainement pas. Car alors on retournera dans les
conditions rencontrées dans certains lupanars où les filles faisaient
de l'abattage avec quarante, cinquante ou soixante passes par jour.
Avec le couteau sous la gorge quasiment, car tu n'as pas le choix. Si
on met en place une maison close dirigée par l'État et que l'on demande
aux filles - je n'ai pas travaillé là-dessus - de reverser juste la TVA
ça ferait fonctionner et ça paierait tous les fonctionnaires, les
locaux. Tout le monde y trouverait un équilibre plus décent que ce que
qu'il est aujourd'hui.
k-libre : Beaucoup de lecteurs s'accordent à dire que Guy est
un personnage "agaçant", qui sait tout sur tout. Un théoricien qui rêve
de devenir praticien. Avec un héros tendant à hérisser le poil, auquel
le lecteur aura du mal à s'identifier, vous n'avez pas eu
l'appréhension de déplaire ?
Maxime Chattam : Oui et non. Je me dis qu'il peut être un peu agaçant
dans le sens où il a toujours la réponse à la question que les gens se
posent. En même temps, quand on regarde bien, souvent ce qu'il fait est
un peu vain. En fait, il n'a pas vraiment influencé sur le final de
l'histoire. Quand on regarde bien ce que Guy de Timée fait, on se rend
compt qu'il n'est pas vraiment héroïque. Ses agissements ne nous ont
pas permis d'en être totalement là où on en est à la fin. Je fais
attention à ce que je dis parce que je ne veux pas trop en dire sur le
second tome. Les choses sont les suivantes : dans le tome 2, on va se
rendre compte de beaucoup de choses sur Guy de Timée, et notamment
qu'il s'est à peu près trompé sur tout dans le premier tome. En même
temps, dès Léviatemps,
qui est une histoire indépendante - il y a un début, il y a une fin et
il n'y a pas forcément de suite dans l'absolu –, ce personnage-là, il
est fort dans ce qu'il fait. Peut-être un peu trop par moment. Mais
quand on regarde bien, et c'est ainsi dès le début, c'est un lâche
absolu dans sa vie personnelle. C'est un type qui a tout raté. Mais
quand il se projette dans quelque chose qui est de l'ordre du fantasme
et de la compréhension intellectuelle, du romanesque, là, il est très
fort. C'est un bon romancier. Finalement, c'est la question que je pose
aux lecteurs. Est-ce qu'un bon romancier c'est quelqu'un qui rate ce
qu'il est humainement pour pouvoir réussir ce qu'il est dans le
romanesque ?
k-libre : C'est une question que se pose Maxime Chattam ?
Maxime Chattam : [Rires.] Probablement. D'autant plus que Guy, c'est mon second prénom.
k-libre : "La Trilogie du Mal" est devenue une tétralogie avec La Promesse des ténèbres,
et il semblerait qu'"Autre Monde" se voit enrichie de quatre autres
volumes. Vous n'avez pas peur que l'on vous taxe de miser sur la
facilité et de surfer sur la vague du succès des précédents opus ?
Maxime Chattam : Non, parce que ce qu'il s'est passé avec "Autre
Monde", c'est que j'avais scénarisé l'histoire complète. Je me suis dit
ça tient en trois bouquins. Ça va être des pavés monstrueux, hyper
denses, mais j'aurai une histoire riche et ça va me permettre
d'explorer tout ce que j'ai envie d'explorer dans cet "Autre Monde" qui
me plaisait et dans lequel j'avais beaucoup de choses à raconter. Or,
j'ai commencé à écrire le tome 1, et je me suis rendu compte de deux
choses. La première, c'est que je pensais écrire pour la jeunesse et
qu'en fait j'étais en train d'écrire pour tout le monde. Et la seconde
chose que j'ai réalisée à ce moment-là, c'est que je ne pourrai jamais,
dans un seul tome, raconter tout ce que j'avais prévu, et que ma
trilogie ne tiendra pas la route. Il a fallu en cours de route que je
redéfinisse un peu plus la série. J'ai voulu rester sur trois bouquins,
parce qu'il est important de faire une fin assez rapidement. En tant
que lecteur, je déteste quand on me propose un bouquin, que l'on me
dise que je n'aurai la fin que dans cinq ou six ans. Ça m'agace. Ça
m'horripile. Du coup, je ne lis même pas les bouquins. C'est frustrant
de ne pas avoir la fin d'une histoire qu'on aime. Donc, j'ai voulu
maintenir l'idée d'une trilogie dans laquelle j'aurais une première fin
bouclée, parce que ça me permettrait de ne pas trop me perdre en route.
Du coup, il n'y aurait pas cette frustration chez les lecteurs, que moi
je n'aime pas. Et tout ce que j'avais prévu, qui allait se greffer
autour et enrichir le "Monde", je vais le faire autrement. Je me le
garde pour plus tard. Il y a de quoi raconter encore beaucoup de choses
parce qu'on se pose plein de questions sur Malronce, sur l'origine de
la tempête, sur ce qui a pu se passer ailleurs dans le Monde. Tout ça,
on va l'avoir dans les quatre tomes qui vont suivre. Notamment avec
Entropia, une menace essentielle, qui est liée à la planète, que
j'avais prévu au départ dans la trilogie et que je n'ai pas pu mettre.
Entropia, vous allez le découvrir dès le tome 4. Mais pour en revenir à
la question, ce n'est pas surfer sur le succès, puisque dès le début,
j'avais dit à mon éditeur : "Écoutez, je sais que je pars sur quelque
chose qui ne marchera pas. Surtout que le roman d'aventure qu'on
appelle fantasy ça marche pas des masses en France, mais je vous
demande un engagement écrit de votre part pour aller jusqu'au bout de
l'histoire. Même si on fait un four total, pour moi c'est important."
Mon éditeur a été hyper-réglo et il m'a dit d'emblée qu'il n'y avait
pas de problèmes et qu'ils iraient au bout avec moi. Ça a marché. Tant
mieux. Mais ça n'aurait pas marché, j'aurais fait les trois tomes et
probablement les quatre suivants.
k-libre : J'ai cru comprendre que vous aviez chez vous une
pièce qui ressemblait à un cabinet de curiosités. C'est parce que votre
vrai nom de famille est Drouot ? Vous cherchez à créer un Hôtel des
Ventes ?
Maxime Chattam : [Rires.] Non,
c'est parce que j'aime m'entourer de choses un peu singulières, et je
me suis fait un grand bureau-bibliothèque avec des livres. J'aime être
entouré de livres pour me sentir bien. Il y a plein d'objets
particuliers qui me font rêver, qui me font peur, et qui m'amusent.
C'est mon univers fantasmé que j'essaye de reconstituer autour de moi.
J'ai un bureau qui ressemble à un cabinet de curiosités fin XIXe,
avec des choses atypiques dont un loup-garou empaillé de deux mètres de
haut, qui se tient debout. On voit encore les marques de l'autopsie et
les impacts de balles. Les gens qui rentrent dans mon bureau sont
estomaqués parce qu'il est très réaliste. Ça a été fait par un artiste
anglais qui travaille parfois pour le cinéma. Il y a d'autres objets
particuliers comme ça qui font que les gens qui visitent mon bureau me
prennent pour un doux dingue.
k-libre : La question bateau qui permet de jauger de la modestie de l'auteur. Comment expliquez-vous le succès de vos romans ?
Maxime Chattam : Je n'ai pas de vraie réponse à cette question. Le
succès est toujours éphémère. Aujourd'hui, ça marche pour moi. Je ne
pense pas que ça durera longtemps, hélas, parce que pour que ça
perdure, il faut savoir cultiver le succès en s'adaptant aux besoins du
public. Or, ce n'est pas ce que je fais. Je vous disais en début
d'interview que j'écris ce que j'ai envie d'écrire et que je vais là où
j'ai besoin d'aller en tant que romancier. Ce qui fait que, peut-être
un jour, beaucoup de gens qui me lisent se diront : "Chattam, ça me
surprend un peu trop. Ce que j'aime, c'est quand il fait ça ou ça, et
comme il ne le fait pas assez souvent, je ne le lis plus." Ça arrivera
peut-être. Je ne sais pas. Mais je ne m'adapterai pas à ça. Je
continuerai à écrire toute ma vie. C'est quelque chose qui me
passionne. J'ai besoin d'écrire. Pourquoi ça marche aujourd'hui ? J'ai
envie de croire que les raisons pour lesquelles j'écris sont évidentes.
Elles sont dans le sous-texte. Et que peut-être ce sous-texte-là, je le
partage avec beaucoup de gens, et qu'ils se retrouvent dans ce que
j'écris. Dans ce que je pense. Dans ce que je suis. Parce que
finalement on partage plein de choses. Comme le besoin de s'évader. Un
petit mal-être ou une sorte de mélancolie sous-jacente à notre bonheur
quotidien. Je suis quelqu'un de souriant, d'heureux dans le quotidien
et mais qui véhicule au fond une grande mélancolie, une grande
nostalgie qui me guident dans ce que j'écris. Ce que je recherche dans
la littérature, c'est du fantasme. Tous ces éléments-là sont évidents
dans mes livres. Évidents de façon différente d'un livre à l'autre. Si
les gens se retrouvent dans cet aspect-là de ma littérature, c'est
peut-être ce qui explique le succès. Peut-être que ça perdurera sur du
long terme... ou pas ! Dans ce cas, je me serai trompé dans
l'explication du succès. [Il sourit.]
Je ne sais pas si ça fait de moi quelqu'un de modeste ou de
prétentieux, mais c'est comme ça que je me l'explique pour le moment.
k-libre : Il y a deux ans, était évoquée l'adaptation de L'Âme du mal par TF1, en deux volets de cinquante-deux minutes. Où en est ce projet ?
Maxime Chattam : Tourné, réalisé, en boite depuis très longtemps, parce
qu'il a même été diffusé en Suisse. Il n'a jamais été diffusé en
France. Personnellement, je ne l'ai pas vu. Visiblement, il a été
interdit aux moins de douze ans. Il semblerait que TF1 n'ait pas
beaucoup de plages horaires autorisées par an pour les moins de douze
ans en prime-time. Du coup, ils favorisent plutôt des séries
américaines. Je pense aussi que le directeur de la fiction de l'époque,
qui avait commandé le projet, n'étant plus en fonction aujourd'hui, le
nouveau directeur en place se dit que si ça ne marche pas on lui
reprochera à lui de l'avoir programmé, et si ça marche, on dira que
c'est son prédécesseur qui avait eu l'idée. Je ne sais pas si c'est
bien ou pas bien qu'il ne soit pas diffusé. Je ne l'ai pas vu. Je
trouve juste dommage qu'ils aient financé un projet et qu'ils n'en
fassent rien.
k-libre : Vous avez commencé votre carrière artistique en tant que comédien...
Maxime Chattam : Vous pouvez précisez en tant que mauvais comédien. [Rires.]
k-libre : Vous avez donc commencé votre carrière artistique en
tant que mauvais comédien, en jouant les mauvaises histoires des
autres. Maintenant que vous écrivez vos propres histoires, avez-vous
envie de les voir se matérialiser sur grand écran et qu'elles soient
jouées par d'autres ?
Maxime Chattam : Je suis un fan de cinéma. Donc oui ça me plairait, ça
m'amuserait. Mais contrairement à une époque où je trouvais ça génial
de pouvoir m'investir dans le projet, je crois que le cinéma est une
industrie tellement à part, tellement particulière, qu'il ne faut pas
fantasmer sur ce que pourrait être le résultat. C'est compliqué. À part
un metteur en scène qui arriverait en disant qu'il veut porter le
projet, qu'il a une vision précise de ce que pourrait être tel ou tel
bouquin, et qu'il souhaite l'adapter. Peut-être que lui, parce qu'il a
le pouvoir en tant que metteur en scène, d'orienter dans une vision
artistique le projet, ça peut donner quelque chose de sympa. À voir.
Mais si ce sont des producteurs qui se contentent d'acheter le projet,
je ne sais pas trop. À cause de problèmes d'économie de marché, ils
peuvent faire des choix qui ne sont pas ceux qu'il y a dans le livre,
et je ne sais pas ce que donnerait le résultat. Maintenant, ce n'est
pas mon métier de courir après les producteurs. Je laisse le temps
faire, et ça ne se fera peut-être jamais.
k-libre : Quels seraient pour vous les comédiens qui incarneraient le mieux les personnages d'Annabelle et Joshua ?
Maxime Chattam : Comédiens français ?
k-libre : Pas spécialement...
Maxime Chattam : En comédien américain, je pense que Johnny Depp aurait
fait un bon Joshua Brolin. Annabelle, ce n'est pas évident. Halle Berry
collerait bien au personnage. En France, je ne sais pas. C'est curieux
parce que j'ai toujours imaginé mes personnages. Ils ne m'ont jamais
été inspirés. À l'exception d'un personnage dans Les Arcanes du Chaos
pour lequel je voyais Eva Green. Je ne saurai pas vous expliquer
pourquoi. C'est venu comme ça. Sinon j'aime beaucoup certains acteurs
français en ce moment. Jean Dujardin dégage quelque chose d'intéressant
sur tous les registres. Gilles Lellouche, qui est un acteur assez
dingue, aussi. Faut voir. Tout est possible.
k-libre : Votre camarade de la LDI, Franck Thilliez,
va voir son dernier roman et le prochain à venir, traduits aux
États-Unis. Qu'un auteur de thriller français - un ami de surcroît -,
soit enfin reconnu outre-Atlantique, qu'est-ce que cela vous inspire ?
Maxime Chattam : Il y a deux choses. D'une part, il y a le fait qu'un
éditeur américain s'intéresse à un auteur français. Ça c'est très très
bien. Ça veut dire que ceux qui sont un peu considérés aujourd'hui
comme les modèles dans le genre - même si je ne suis pas sûr que ce
soit vraiment le cas, entendons-nous bien -, s'intéressent à ce que
certains auteurs français peuvent faire. En l'occurrence, ils ont
choisi Franck Thilliez. Je pense qu'ils ne pouvaient pas se tromper. Il
fait partie de ce qui se fait de mieux en France dans le genre. C'est à
la fois une reconnaissance pour son travail personnel et pour ce qu'on
fait en France. Je trouve ça formidable. Après, il faut voir ce qu'ils
vont en faire. Ce qui me rassure, c'est qu'a priori cela a été acheté
pour un montant assez important. Ce qui veut dire qu'ils y croient
vraiment et que pour rentabiliser ce montant, ils vont vraiment devoir
travailler sur ce livre et sur sa diffusion aux États-Unis. C'est ce
qu'il fallait. J'ai été traduit et publié aux États-Unis. Cela a été un
four total. Ce que j'aimerais, c'est que Vikings, puisque c'est eux qui
ont acheté les droits, mettent le livre de Franck en avant et qu'ils se
battent pour le partager et qu'ils fassent quelque chose avec. Là, ce
sera formidable. La deuxième étape sera passée. Ce ne sera plus
seulement les professionnels qui s'intéressent à ce qui se fait en
France, mais aussi le lectorat. On peut espérer une vraie sortie
américaine, avec tout ce que ça engendre, et un vrai succès populaire
américain. De plus, ça laisse aux auteurs français un espoir de se dire
que leur travail peut dépasser les frontières.
k-libre : Que diriez-vous, pour les encourager à lire Léviatemps, aux lecteurs habitués du Maxime Chattam de "La Trilogie du Mal" et qui pourraient être décontenancés par une telle lecture ?
Maxime Chattam : Léviatemps
était un choix personnel. Je me suis dit que cette histoire-là, à cette
époque, appelaient une forme d'écriture différente de ce que je fais
d'habitude. Je me suis beaucoup documenté sur l'époque. Après, ça reste
du thriller. Il y a du suspense et des chapitres courts. Et puis on
retrouve un peu ma patte dans la façon de décrire les lieux, les
ambiances, ce qui se passe dans l'interaction des personnages.
Là-dessus je reste ce que je suis. Et ce que je ferai toute ma vie,
probablement. En revanche, il y a une volonté de prendre un peu plus de
temps pour certaines choses. D'avoir une écriture un peu différente.
Une écriture qui ressemblerait à un mélange entre Le Sang du temps et In Tenebris. J'ai fait ce choix, parce que cela s'y prêtait. Le sujet l'appelait. J'étais à l'aise avec ce style pour ce livre. Léviatemps
est un peu un livre "somme". Une synthèse de tout ce que j'ai fait
jusqu'à présent. Oui, on peut être un peu surpris par l'écriture, parce
que c'est l'époque qui incite cette écriture, mais quelqu'un qui aime
ma façon d'écrire peut y retrouver beaucoup de choses. J'ai juste envie
de dire : "Soyez curieux, jetez un œil".
Lien vers l'interview: ICI